dimanche 31 mars 2013

Heidi

Chère Heidi,

Pour notre mariage, nous n'avons pas demandé d'argent pour un voyage de noces dans un magnifique pays lointain. Nous passions de jeune couple à couple marié, mais aussi à jeunes parents quelques mois plus tard. Nous avons donc demandé un peu d'argent pour agrandir la boite à clous roulante. La 306 (verte) était trop petite, je me voyais déjà à la tête d'une famille de 3 à 5 enfants. Il nous fallait le monospace. Mais il nous fallait aussi une petite aide financière, le cadeau de mariage était tout trouvé.

Elle est arrivée chez nous le lendemain de la naissance de Gabrielle. Je me revois encore, agonisant dans mon lit de jeune accouchée, Gabrielle dans le box du rayon néo-nat de la maternité. François m'appelle, me demande de venir voir à la fenêtre. Je me traîne tant bien que mal, perf toujours au bras. Et là il me dit "alors, tu la trouves comment?". Je tenais à peine debout, tension au plus bas à cause d'une belle hémorragie, et il me demande comment je trouve la couleur de la voiture. Car c'était bien là l'inquiètude. Nous avions choisi la couleur verte (officiellement gris cerianthe) car le gris métallisé était bien trop commun, et je voulais pouvoir la retrouver au milieu du parking de chez carrefour. Sauf qu'on ne l'avait pas vue en vraie cette couleur, et il y avait la possibilité que ce soit parfaitement horrible. 

Bon, en jeune mère d'un nourrisson de même pas 1 jour, je me fichais totalement de la couleur de la voiture. J'étais plus intéressée par la couleur des yeux de ma fille, et par savoir si la douleur de l'épisio allait durer longtemps ou pas. Lui était heureux d'être devenu papa, et d'avoir sa première voiture neuve juste à temps pour ramener "la mère et l'enfant" en sécurité jusqu'à la maison.

Moi par contre, je me souviens que lorsqu'il m'a fallu monter dedans pour la première fois, au 5 ème jour (sortie de maternité), je ne me souciais que de savoir si j'allais réussir à m’asseoir  ou si j'allais dire que je prendrais plutôt l'option piéton. J'ai tenu bon.

Je me souviens que les mois suivants, nous y avons passé la plupart de notre temps diurne. Le premier mois car canicule, et Heidi avait la clim. Le deuxième mois car Gabrielle pleurait sans arrêt. Des nuits de 5h et des pleurs tout au long de la journée. J'avais beau harceler tous les pédiatres à ma portée (vacances - Août ), ils ne me donnaient aucun diagnostic, aucun traitement. Et la seule chose qui la calmait était d'être en voiture. 
Le troisième mois, c'est avec elle que nous avons ramené Gabrielle de Necker où elle a été hospitalisée une dizaine de jours. Nous ramenions enfin notre bébé à la maison. 

Quelques mois plus tard, elle nous a emmené en Irlande. Le grand clou tenait beaucoup à revoir ce pays dans lequel il a vécu quelques années auparavant. Elle a pris le bateau (long et ennuyeux trajet), elle a roulé à travers le pays des Leprechauns, elle a bravé la pluie, le vent, les arcs en ciel. En récompense, elle a reçu un magnifique autocollant-trèfle. Pour nous porter chance.

Un an plus tard, il a fallu que j'apprenne à la conduire. On est passé de la vie parisienne à la vie en banlieue, et il fallait nourrir la famille et c'était forcément loin. Ce ne fut pas sans dégâts, j'avais eu le malheur de largement rayer l'arrière de la pauvre Heidi. Quelques mois plus tard, alors que j'attendais pti clou n°2, un conducteur apprenti nous étais rentré dans le coffre. Plus de peurs que de mal, et fort heureusement, ma grosse rayure fut donc réparée, et aux frais de l'assurance.

C'est donc avec elle que le grand clou m'a amené donner naissance à mon deuxième petit clou, en plein bouchons, à 20h un dimanche soir. La voiture n'a pas hésité à traverser des contrées étranges (à seulement 10 min de paris) que le GPS nous indiquait pour éviter les bouchons.

Puis nous avons encore déménagé. Cap à l'ouest. La province, ce n'est pas comme la banlieue. La voiture était moins importante. Mais elle était là, à attendre tous les jours devant le pas de la porte. Toujours prête à servir, et cette fois, elle était parfois couverte de neige. Puis petit clou n°3 est arrivé. Pas facile de caser 3 sièges bébé à l'arrière quand on a 3 enfants agés de 3 ans et demi à quelques semaines. Mais on a réussi
La 307 SW avait l'avantage de pouvoir avoir des sièges dans le coffre, passant de 3 sièges arrières à 5. Quand 7 mois après la naissance de Pierre, mon beau-père est décédé, nous avons pu emmener ma belle-mère avec nous dans nos sorties. Raphaël appréciait d'être "dans le coffre". Nous pouvions voyager en famille, aider mamicha à sortir de son deuil. La voiture était sympa, pas de pannes, pas de mauvaises surprises. La neige toutefois avait eu raison du parebrise, un matin nous l'avons retrouvé entièrement fêlé. En Janvier, il fut donc changé (mais c'était l'assurance qui l'avait pris en charge). L'airbag clignotait depuis plus d'un an. C'était cher à réparer, et pas pris en charge par l'assurance. Donc nous avions décidé de ne pas avoir d'accident de voiture, et attendre. 

Mais après une belle journée de Pâques en famille, nous rentrions chez nous. 2h de route, aller le matin, retour le soir. Les enfants s'endormaient enfin à l'arrière, la belle-mère aussi. Je savourais la journée passée, le coffre rempli de playmobils (mamicha voulait gâter les enfants, pour une fois je n'avais pas joué à la mère qui dit "non, les enfants ont déjà trop de jouets"), rempli de chocolats, de livres que ma cousine avait offerts. Je savourais le fait que tout le monde avait été de bonne humeur. Mon dessert n'était pas une réussite (mon paris-brest tenté 5 fois, raté 5 fois, était devenu un plateau de mini éclairs, que je faisais quand il me restait de la pâte à chou à chaque tentative). Les enfants s'étaient amusés entre eux, la belle-mère semblait enfin sortie du deuil du veuvage. Et la camionnette qui vient de la gauche roule bien vite...  Ca m'a sorti de mes pensées... pourquoi cette camionette ne s'arrête pas? On va rentrer dedans... j'entends François dire "oh non". Si même lui n'y croit plus, lui le conducteur chevronné, alors on est foutus. Il n'a plus d'airbag. Soit on meurt tous, soit j'ai plus de mari, plus d'enfants, plus rien. C'est fou tout ce qu'on réussi à penser en quelques secondes en fait. Je me protège les yeux avec mon poignet, je me suis fait opérer de la myopie 3 mois plus tôt, j'ai une vue maintenant parfaite et je sais que je ne veux rien voir. 

Gros bruit très sourd.

Je ne raconte pas tous les détails, ça ne vous intéresse probablement pas (comme tout ce texte, d'ailleurs...). 
En sortant de la voiture, je me suis écroulée à l'arrière droit. Le même arrière que j'avais largement rayé. Le même arrière qui avait été refait. Le seul côté de la voiture qui est en fait resté intact.

Plus tard, à l'hôpital, François me montre les photos qu'il a prises de la voiture. C'est le choc, car j'imaginais presque qu'elle pourrait être réparée. Ces photos, je les ai regardé si souvent. De longs moments, et je crois qu'il n'y a pas une semaine sans que j'ai eu besoin de les regarder. J'y ai cherché des indices, des détails,...
Dans cet accident nous avons perdu mamicha, quelques jours plus tard. Nous avons perdu des bouts de playmobils. Les chocolats ont pris l'eau. Nous avons perdu la santé. L'espoir en l'avenir aussi. 

Mais souvent, les gens oublient que nous avons perdu Heidi. Ca parait ridicule, mais c'était NOTRE tuture.

Raphaël nous a souvent reparlé de la "voiture verte". Il voulait que papa la répare avec de la colle, comme pour les jouets. Il nous dit qu'il aimait la voiture verte. C'est vrai, on l'aimait. Comme on a aimé notre vie, notre mariage, la naissance de notre premier bébé, et celle des garçons, nos voyages, nos vacances. Elle nous a sauvé la vie. L'airbag qui était soit disant défaillant a bien fonctionné. Il a cassé 4 côtes et le sternum du grand clou, mais lui a sauvé la boîte crânienne.Son genou a été abîmé, et on ne sait pas quand et si il refonctionnera normalement un jour. Les garçons, dans leurs sièges autos allemands qui nous avaient coûtés les yeux de la tête (on prenait les meilleures notes des crash-tests), sont sortis indemnes. Gabrielle qui n'avait qu'un rehausseur a été légèrement blessée à l'épaule. Moi j'ai eu le poignet brûlé par l'airbag, mais ce poignet a sauvé mes yeux, vers lesquels quelques bris de glace se dirigeaient (le rétroviseur a brisé la petite vitre de côté). Le parebrise avant, tout neuf, a été simplement fêlé. Ce qui aurait causé plus de blessures... Mes jambes et chevilles ont été amochées, mais vont mieux. J'ai toujours le genou droit engourdi cependant. Le nerf a été écrasé, il reste sensible et insensible à la fois, c'est douloureux et étrange. Mais contrairement au grand clou, je n'ai pas de problème pour marcher (lui a besoin d'une canne).

Aujourd'hui c'est Pâques. Après notre repas familial, nous avons pris la même route pour le retour. Nous avons déposé des fleurs pour mamicha. Le lieu n'a pas vraiment changé. Le poteau "cedez le passage" que notre voiture a déglingué a été déplacé de 50 cm. Au sol, on trouve encore des morceaux de "l'épave". Vilain mot pour le sacrifice d'une voiture, construite pour savoir s'autodétruire afin de protéger ses passagers.  Vert c'est la couleur de l'espérance. Avec son toit panoramique, on regardait vers le ciel tout le temps. La nouvelle voiture, qu'on a pas choisi, est noire. 

Merci Heidi. On te doit d'être tous les 5 en vie. Tu n'as rien pu faire pour mamicha, ce n'est pas ta faute. C'est la décélération qui l'a abîmée, car elle n'a reçu aucun choc. On ne fait pas son deuil de la même façon pour une mort naturelle, que pour une mort accidentelle. C'est bien plus dur, plus violent. On ne l'oublie pas. Et toi non plus, car jamais je ne veux oublier ces 6 années, de notre mariage à cet accident. Peut-être parmi les plus belles d'une vie de famille. Celles où l'on a construit, clou par clou, notre famille. Depuis un an nous essayons seulement de réparer ce qui a été cassé, c'est long, usant, cher, et peu valorisant. 1 an n'est pas suffisant. Malgré nos efforts pour tourner la page au plus vite, il y a encore beaucoup de démarches administratives à faire. On imagine qu'après un tel drame, la société est là pour nous secourir, pour nous protéger, pour nous aider. Et bien non. Demerden Sie sich... et comme à chaque fois qu'on est en position de faiblesse, certains en profitent. 

Notre nouvelle voiture noire nous emmènera peut-être un jour quelque part. Mais pour le moment on tourne en rond. J'espère qu'on retrouvera bientôt une voiture verte, et l'espoir qui va avec. 



Bye Bye Heidi. Rest In Peace. You'll be remembered. 

17 commentaires:

  1. Je pense bien à toi aujourd'hui. Cette page se tournera forcément un jour, et en attendant, courage.

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  2. Un bien triste anniversaire. Je vous souhaite beaucoup de courage.

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  3. quel affreux anniversaire....
    courage

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  4. ouch quel texte. Pensées pour vous et remerciements à votre tuture !

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  5. J'imagine, que passer par l'écriture de ce texte fait partie de ta/votre reconstruction, un pas de plus vers la voiture verte... Pensées et courage.

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  6. en ce jour difficile toutes mes pensées vont vers toi ...

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  7. Tu as tort de penser que tes mots n'intéresseront pas. J'ai été très touchée pour ma part par cette "lettre", ces pensées,...
    C'est vrai que perdre quelqu'un par accident, c'est tellement différent... :(
    Mes pensées vont vers vous, votre famille et vers l'avenir qui se reconstruit peu à peu.
    Amitiés

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  8. Ton témoignage m'a touché! Il arrive que tu parles de l'accident dans tes textes via le blog mais pour moi c'était un peu un mystère...quoi,où, comment...maintenant, je sais, je comprendrais mieux!
    Un blog ça sert aussi à cela, partager des moments parfois plus tragiques avec les autres quand on a besoin de parler, c'est pas seulement, se faire congratuler, encenser par les autres.

    Il faut laisser le temps au temps...nul doute que vous aurez d'autres bons moments et ferez des beaux voyages...

    C

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  9. <3 <3 <3 et plein de bises !
    Blandine V,

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  10. Je vous embrasse pour ce beau texte. Soyez heureux dans votre nouvelle voiture.
    AMICALEMENT
    Claire

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  11. j'ai pris le temps de tout lire. Tu rencontreras hélas d'autres épreuves et même si on te dit que ce sont les épreuves qui nous rendent plus forts, ce n'est qu'une parole d'encouragement, car ce n'est pas vrai.
    A chaque dure épreuve, je me suis affaiblie mais j'ai retenue une chose. Le plus important c'est d'être en vie. Quand tu as compris définitivement cela tu peux avancer, encore et encore. Bises
    martinemissegue@orange.fr

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  12. J'étais venue sur ton blog pour la couture; mais ton histoire m'a bouleversée. J'imagine comme c'est difficile de se reconstruire après un tel drame et reprendre le fil de la vie. Je pense bien à ta famille et à toi. Plein de courage à vous 5.

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  13. Un jour je suis venue sur ce blog et j'ai vu toutes ces belles réalisations couture, depuis j'y reviens de temps en temps même si je ne suis pas vraiment concernée car tes réalisations sont surtout pour les enfants et que je n'ai plus d'enfants de cet âge à habiller. J'avais lu quelquefois que tu parlais d'accident; maintenant je comprends mieux, un grand traumatisme.Continue de choyer tes chers petits et de nous faire rêver avec tes belles créations, la vie avance et on apprivoise ses douleurs avec le temps...

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Merci pour votre commentaire. bien que vous remplissiez votre mail dans les champs demandés, blogger ne me le transmets pas. Pour vous répondre, merci de mettre votre mail à la fin de votre commentaire, merci.

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