Il y a longtemps que madame Quattre et moi nous nous apprivoisons à distance. Je ne l'ai vue que deux fois: une fois lors du salon Marie-Claire idées, et la deuxième fois avant mon déménagement vers les USA pour lui donner en mains propres des petites choses: en coup de vent, sur le parking d'un supermarché, même pas 10 minutes.
Mais quand on a des goûts, des envies communes, peu importe la taille de l'océan qui nous sépare, on reste proches. Ainsi, ma nouvelle position géographique a permis d'assouvir sa passion pour les patrons, et les patrons de costumes historiques. Ils sont vendus, comme tous les patrons pochettes, lors de promos à des tarifs absolument ridicules (de 1 à 2$). Je suis devenue sa dealeuse officielle de rêves à assouvir. Un jour où elle m'écrivait "si tu trouves pas celui-là, ce n'est pas grave. Je ne sais même pas pourquoi je les achète, je n'oserai jamais les coudre". Je lui ai alors avoué ma propre collection honteuse de patrons de déguisements, de robes régence, renaissance, empire... en lui demandant si, s'encourageant l'une et l'autre, on finirait pas par y arriver.
Car si j'aime la couture, c'est bien parce que petite, j'étais fascinée par ces belles robes. La princesse, je m'en fichais. Mais la robe, ça... depuis très longtemps je rêve d'apprendre à faire de vraies belles pièces, comme pour le théâtre ou les reconstitutions historiques. Il y a beaucoup de savoirs à acquérir: les techniques de couture, mais aussi les détails pointilleux de la mode à travers les âges. Et pour apprendre cela, il faut du temps. Avec des enfants jeunes, le temps est une denrée rare.
Mais Quattre a parlé d'un patron qui allait sortir, d'une blogueuse hyper talentueuse, couturière historique, American Duchess, qui serait très très juste historiquement, et inspiré par les robes d'une nouvelle série télé US. La série est Outlander, dont l'histoire n'a aucun intérêt (sauf si vous aimez, comme nous, vous moquer). La costumière de la série, Terry Dresbach, est absolument incroyable. Elle a un blog, qui lui aussi, fait rêver. L'occasion était belle: plutôt que de tout apprendre, nous pouvions faire confiance à ces dames pour nous faire gagner un peu de temps.
Bref, c'est le patron Simplicity 8161 et 8162. Il ne restait plus qu'à savoir quand nous allions nous y mettre. C'était le printemps, mais ça signifie fin d'année scolaire, débordées, pas possible. Vacances d'été? Mouais, avec les enfants dans les pattes... Rentrée? On y songe même pas. Juste après? Je partais à Paris. On finissait par ne plus en parler. Puis bon, je n'avais pas de projet pour Halloween, j'en avais marre de porter la robe de la Reine de Coeur (Alice au pays des merveilles) qui était mon seul déguisement. Alors de façon très sympathique, je lui ai demandé "tiens, on est en Octobre... tu crois qu'on pourrait en 3 semaines la faire, cette fameuse robe? T'es prête?". Elle a dit oui. Alors je me suis lancé à toute allure.
Après avoir eu le patron depuis des mois entre les mains, le plus gros dilemme était: quel tissu? Je pensais, venant en France en Septembre pourvoir y trouver des merveilles. Mais non. Il a donc fallu aller en vitesse au supermarché du loisirs créatif du coin, Joann. Le choix n'est pas vraiment vaste. Je voulais du marine et du taupe (ou tabac). Il y avait des marronnasses, beaucoup de bleus mais pas marine. J'ai fini par choisir deux couleurs. Puis une semaine après, je me suis ravisé et j'en ai acheté une autre!
Le reste des fournitures n'est pas forcément facile à trouver. Des oeillets (ce n'est pas historique, mais c'est plus rapide que de les faire à la main), des baleines (trois types de baleines différentes, merci), des rubans de sergé de 5 mm, du biais fin, etc. Le plus dur fut de trouver les baleines en métal de 3 longueurs spécifiques, que je n'ai trouvé que sur des boutiques virtuelles. Ici, les frais de port sont élevés, car il y a souvent un continent à traverser et ils valaient le prix de ma commande. J'ai donc commandé en double, si jamais j'avais à refaire un costume un jour.
Les baleines pastiques sont en fait des attaches pour câbles, à acheter dans un magasin de bricolage. Peu cher, et faciles à trouver. Mais ils sont vendus enroulés, et il a fallu trouver un moyen de les aplatir. Hélas, ça n'a pas marché. Pourtant, ils sont bien lourds les intemporels!
On commence. Première étape: laver et repasser les tissus. C'est pénible sans une bonne musique à écouter, ou une vidéo à regarder (documentaire ou série télé, pour moi).
Deuxième étape: le découpage de la carcasse. Nous avions trouvé cette table dans la zone "bonne trouvaille" chez Ikea. Elle est immense! 1.05 m de large sur 290 cm de long. J'étais très très contente de l'avoir à mes côtés dans l'atelier pour étaler les 4 yards de longueur de tissu.
Puis on recopie les marquages pour les coulisses des baleines. Précision requise.
Troisième étape: la trouille au ventre, je me lance par ce qui me semblait le plus facile. La chemise! En fait, c'est peut-être la pièce qui m'a laissé le plus perplexe: il est demandé de faire des coutures anglaises pour cacher les bords. Logique, il n'y avait pas de surjeteuse à l'époque. Par contre, à certains moment, je ne voyais pas, mais alors pas du tout comment je pouvais m'y prendre. Je suis terriblement nulle pour suivre des consignes. Patrons ou recettes de cuisine, même combat pour moi. J'essaie de capter l'idée générale et je me lance. Donc je me plante souvent.
J'ai fini par sortir une pièce acceptable. J'aurais aimé un tissu plus fin, mais j'ai un mal fou à le trouver. Alors ce coton fin, mais qui n'est pas du voile pour autant, fera l'affaire. Il fallait faire un ourlet fin pour les bords, et j'ai utilisé mon pied magique "ourlet 5 mm" qui me suit depuis des années. Par contre, je regrette amèrement ce froufrou: la pièce de patron demandait 4 morceaux à assembler, alors que sur mon tissu, j'aurais pu n'en couper qu'un, m'évitant ainsi des coutures disgracieuses.
Quatrième étape: attaque de la pièce qui fait le plus peur. Le corset... mes pièces sont faufilées, les coulisses surpiquées. Il y a ici le tissu qui sera caché: tissu épais, en l'occurrence un sergé gris. Un tissu qui m'a permis de faire des shorts à mon blondinet. Bien costaud, pour soutenir. Derrière se cache un tissu un peu plus joli, une cotonnade venant de mon magasin de coupon parisien habituel (anciennement habituel, hélas) que je trouvais trop épais pour faire des robettes. Il y aura en dernier, non surpiqué sur les placements de baleines un tissu blanc (le même que pour la chemise) qui sera à l'intérieur, contre la chemise car le corset se porte SUR la chemise. La chemise était aisément lavable, et permettait d'absorber la sueur, et d'éviter de salir la robe et le corset.
Les pièces superposées, bien coupées, posées côte à côte. |
Assemblage des côtés.
Etape indispensable: repassage!
Il faut surfiler les coutures des côtés: pour que ça ne bouge pas ensuite et ne fasse pas un gros paquet, le sergé étant un tissu assez épais. Sans que cela se voit à l'extérieur bien évidemment.
Ainsi posés, les deux moitiés de corset commencent à prendre vie et encouragent à passer à la suite.
Assemblage de la doublure.
Là j'ai commis une erreur. Tellement pressée d'arriver à l'étape des baleines, j'ai commencé à les couper, les poncer (30 en tout, donc 60 bouts à poncer méticuleusement). Et je les ai glissée dans leurs coulisses. Avant de réaliser qu'il fallait coudre quelques côtés de la doublure avant. Il a fallu défaire en partie, se débrouiller, recouper 15 bouts devenus trop longs: comme le corset est 2 moitiés à assembler, je n'ai donc fait l'erreur qu'une fois, et pour la moitié des baleines.
On assemble et coud le côté gauche, et le droit. Ni le haut, ni le bas. Mais il faut coudre en partie les bretelles.
J'avais laissé quelques baleines qui me gênaient moins malgré mon erreur. On voit ci-dessous le problème de la baleine qui rebique.
Là, il faut couper les fentes!
Et le plus gros du travail: coudre à la main (impossible à la machine) le biais sur le bord du bas. Un joli et long travail, qui m'a valu d'avoir bien mal aux doigts, des crampes dans les mains, et même de saigner à me piquer.
Il faut ensuite insérer chaque baleine, puis coudre le biais sur le bord haut. Et recommencer pour la deuxième moitié.
Dernière étape: poser les oeillets. J'ai fait un test sur des chutes (en mettant les 3 tissus, pour vérifier que l'oeillet soit suffisant pour l'épaisseur. Heureusement, car j'en ai posé 4 dans le mauvais sens avant de trouver dans quel sens mettre l'oeillet et la pince. Puis je me suis lancé pour les 12 oeillets du devant, les 16 du dos, et les 2 aux épaules.
Puis le moment de joie mêlée à la crainte est l'essayage. Ai-je choisi la bonne taille? Est-ce que ça va craquer? Et miracle, ça passe!!!
Je suis très très très, mais alors vraiment très contente du résultat et fière de moi. J'ai eu peur, je me suis lancé, j'ai fait des erreurs, je ne me suis pas démonté, j'ai repris, et j'ai fini par réussir. J'ai l'impression que toutes ces belles robes que je rêvais de coudre me sont maintenant accessibles puisque je réussis à ne pas baisser les bras par fatigue, flemme, peur, découragement ou malchance. J'ai eu BEAUCOUP de chance sur ce corset. Il y aura certainement plus dur, plus corsé. Mais dans ma petite tête, je me dis: peut-être qu'un jour je pourrais coudre la robe de mariée de ma fille. Et avant, ses robes de prom pour l'high school.
Je vous laisse sur ces mots, de Marc Halévy expliquant Spinoza pour les Editions Eyrolles "Citations de Spinoza expliquées", qui se prête bien à la situation. La suite de la robe au prochain épisode... Après la soirée d'Halloween (et le temps de traiter les photos).
A bientôt!
Bravo, quel travail mais aussi quelle réussite ! Le corset est magnifique.
RépondreSupprimerMerci beaucoup. Oui, réussite car j'ai eu de la chance!
SupprimerTrès déçue de ne pas avoir pu vous rejoindre dans cette aventure par manque de temps mais... mon petit doigts me dut qu'une commande passée la semaine dernière ne va pas tarder!
RépondreSupprimerUn grand bravo pour cette merveilleuse 1ère étape, les dessous de la Dame, c'est magnifique? La robe de mariée de Gabou, cnest une évidence pour moi, si la jeune demoiselle le désire.
Vite vite la suite! N'oublie pas d'enkever ton jean, ce soir, par contre ��
Allez, le prochain, je préviens TOUT LE MONDE avec plusieurs mois d'avance. Comme ça, on pourra s'y mettre à plein de joyeuses givrées :-)
SupprimerWooow quel travail de fourmi ! La corseterie c'est pour moi le plus compliqué. Bravo
RépondreSupprimerOui, je trouve aussi que c'est très compliqué. Je pensais qu'il fallait que les mesures soient PARFAITES. Mais ce corset, s'ajustant devant, dos et aux épaules était une aubaine pour ne pas risquer les problèmes de taille.
SupprimerMagnifique ! Bravo mille fois !
RépondreSupprimerGrâce à toi, j'oserais peut-être me lancer un jour !
Oui oui, on s'encouragera!
Supprimerhan !!!!!
RépondreSupprimerles mots me manquent !
je suis béate d'admiration.... il fallait oser se lancer, c'est un magnifique défi !
j'ai déjà rêvé devant des patrons historiques, mais sans aller jusqu'à les acheter ..... j'admire !!!!!
Je suis sûre que tu as toutes les capacités pour le coudre, tu fais tant de merveilles. Allez, toi aussi, pour la prochaine, tu te joins à nous!
SupprimerFélicitations! Bravo pour la persévérance
RépondreSupprimerBeau travail, et très beau résultat!
Merci beaucoup Caro :-)
SupprimerJe suis bluffée ! En même temps, moi, je ne doutais pas de toi une seule seconde.
RépondreSupprimerMerci pour le texte, ça fait réfléchir et c'est très à-propos par ici.
Merci, mais tu me vois toujours plus douée qu'en réalité!
SupprimerBravo,le résultat est fantastique, je suis sous le charme de ton corset!
RépondreSupprimerMerci beaucoup. Il me donne envie de le porter comme ça, sur un Tshirt. Mais ça ferait trop mode des 90's, non?
Supprimerwhaouu! Quelle patience! Et quel joli résultat! bravo
RépondreSupprimerMerci beaucoup :-)
SupprimerWaouh, bravo ! Ayant cousu quelques costumes de mon coté (l'excuse pour les coudre et donc les porter : dis, chéri, si on faisait un nouvel an costumé ? ;P) je vois bien par quoi tu es passée !! Bravo, c'est vraiment chouette et j'ai hâte de voir la suite !!
RépondreSupprimerMerci beaucoup. J'aime bien l'idée des soirées costumées!
SupprimerC est impressionnant comme c est beau et bien fait. Effectivement tu as passé un cap et tu peux rêver à la robe de mariée de ta fille
RépondreSupprimerMerci beaucoup :-)
SupprimerAaah! Quel post enthousiasmant! Exactement ce qu'on aurait aimé lire quand on a décidé de se lancer. Voilà qui me redonne du courage pour un costume de Noël! Toujours cette maudite batiste introuvable, cependant. Ou alors j'achète des draps blancs de piètre qualité pour que le tissu soit fin?!?
RépondreSupprimerBonjour, Magnifique travail!! Ça donne envie de se lancer!
RépondreSupprimerAvez-vous fait la 2ème partie de la robe? Je ne trouve pas l'article.
Je suis fan de Outlander et je rêve de me faire cette robe!
Caroline